Lionel

Je ne sais pourquoi mais je me suis longtemps présenté en donnant d’abord mon nom de famille puis mon prénom ce qui, je le conçois bien, en trahissait la fonction. Cela ne fut pas sans me jouer quelques tours. L’effet le plus durable que put avoir cette étrange manie s’exerça sur mon institutrice de maternelle. De la maternelle de garçons, veux-je dire puisque, je l’ai déjà dit ailleurs, je fréquentais un temps l’école des filles où enseignait ma mère avant de rejoindre mes petits camarades mâles.

Toutes les sections de maternelle de l’école des garçons de la ville-haute étaient alors joyeusement regroupées dans une seule classe. La salle ressemblait à un amphithéâtre avec ses larges marches sur lesquelles on avait posé des pupitres à l’ancienne. Nous avions, dans l’antichambre qui donnait sur la cour de récréation, nos patères auxquelles nous accrochions nos manteaux et dont nous reconnaissions la place grâce à de petites images qu’on y avait collées. Usage que je retrouvai bien plus tard lorsque je fréquentais l’école de mes enfants.

La classe avait cette odeur si caractéristique des salles de classe de l’époque : la craie, l’encre et la cire formaient une base discrète mais persistante sur laquelle prenaient appui diverses odeurs corporelles que l’on peut imaginer dans un groupe de je ne sais combien de dizaines de moufflets.

Assez vite j’appris à lire et je me retrouvais assis au premier rang, au niveau du plancher, où la maîtresse regroupait les enfants lecteurs ou en bonne voie de l’être.

Ce dut être la première fois que j’entrai dans cette classe que je fus ammené à me présenter. La maîtresse dut me demander quelque chose comme Comment t’appelles-tu ? à quoi je répondis simplement Henel Yvon. Mais, à cet âge tendre, aux alentours de trois ans ce me semble, notre discours même ferme n’est pas toujours très facilement audible et puis, j’en suis certain, la maîtresse attendait un prénom. C’est ainsi que je devins Lionel, nom auquel j’appris à répondre sans — à ce dont je me souviens aujourd’hui — que j’en éprouve difficulté ou trouble.

Il s’était écoulé presque vingt ans lorsque je croisai pour la dernière fois, de passage à Provins pour je ne sais plus quelle raison, mon institutrice de maternelle. Elle me reconnut ! Elle me demanda de mes nouvelles. Elle m’appela encore Lionel.

2005-05-28T17:54:31 — 2005-06-24T15:44:11
Yvon Henel
Mons en Bar½ul