historiette sans titre

Le petit bruit sec et répété m’avait tiré de mes pensées. Un petit bruit de canne sur le pave. J’avais aussitôt cherché des yeux qui faisait ce bruit régulièrement et obstinément. C’était le bruit que fait un aveugle en marchant, quand de sa canne blanche il frappe le sol devant lui, cherchant son chemin.

Dans une petite poussette, assis, un enfant tenait un petit balai dont le manche frappait les pavés, bondissant et rebondissant encore.

Je me suis mis à haïr cet enfant et sa mère qui le poussait.

Je m’étais préparé à voir un aveugle, j’avais préparé ma pitié et ma charité, j’avais empli mon c½ur de compassion, j’avais tout prévu. Je savais que de le voir me ferait un peu de peine. Mais je savais aussi qu’en le voyant, je comprendrais combien je suis fortuné de n’être pas aveugle — rien de tel que la vue de la misère et de la douleur pour sentir combien son sort est enviable. Et par la faute de ce sale môme, j’avais empli mon c½ur de tristesse pour rien.

1978-11-24
Yvon Henel
Lille