Trou noir
Le zonzon incessant du suicide revient,
Emplit ignoblement tous les coins de ma tête,
Me peint la nuit noire plus claire que le jour plein,
Me tente du néant comme d’une retraite,
Me présente le tombeau comme une couche aimée
Et le linceul enfin comme un drap espéré.
Ma raison prise au piège croit encore raisonner
Juste et simplement et me faire croire qu’à rien
En ce monde je dois autre chose que l’absence :
« Tes enfants ni ta mère, tes amis, tous les tiens,
Personne n’a vraiment besoin de ta présence. »
C’est là ce que j’entends sans cesse résonner.
La bête est encore là tapie au creux de l’être
Qui gémit, qui attend et toujours me guette.
Je retiens la douleur et les doutes et les peurs
À grand coup de cachets. Et les larmes et les pleurs
M’épuisent mais n’ont pas délavé le malheur
Ni encore comblé le grand trou noir qui reste
Au milieu de mon c½ur, au milieu de mon être.
Tout ce que je crus, désormais, sonne faux
Et même ce que je dis, je n’y crois qu’à moitié
Quand je peins pour les autres les douceurs et les ris,
Les beautés de ce monde et le bonheur d’aimer.
Les beautés de ce monde et le bonheur d’aimer
Moi je les ai connus. Ils me manquent sans répit.
J’ai perdu la vie même et mon entièreté
Mais de la grande faucheuse j’attends encore la faux.
J’ai aimé, je le fus, je le crus, l’ai-je été ?
Qu’importe finalement, j’ai connu le bonheur !
Même si ce fut un rêve, ce fut un beau mensonge
Celui-là ne visait qu’à nous rendre plus heureux
Il n’avait pas pour but comme dans un triste songe
À me faire descendre au tombeau douloureux ;
Pour m’acquiter d’une faute que je n’ai pas commise
M’en faire commettre cent qu’elle ne put supporter.
Je n’ai pu être alors ce qu’elle s’était promise
Et les malheurs du monde que je n’ai su porter
M’ont poussé lentement au bas du piedestal
Où, pour mon grand malheur, elle m’avait placé.
Elle ne put pas voir que les noires furies
Avaient pris possession de toutes mes pensées.
J’étais tombé la proie des funestes Érynies
Qui m’avaient condamné, du moins j’en étais sûr,
Parce que j’avais trahi son amour, sa pensée,
À mourir, comme mon père, à son âge, sans recours.
Six ans j’ai attendu la sentence si pure
Que le doute jamais ne put être un secours.
Je voulais que Christel qui devait me survive
Se détache de moi avant que je ne meure.
Je ne la voulais pas du deuil anéantie
Et je la fis souffrir et jamais ne le vis.
Mes plaies contre ses plaies, mes failles contre les siennes,
Mes manques face à ses manques, mon vide contre le sien,
J’aurais voulu l’amour solide comme un rocher
Sur lequel j’aurais pu fracasser toutes peines.
Elle voulait l’amour comme une fleur simple
Que l’on choie tous les jours, qu’on abreuve, qu’on soigne.
Elle attendait l’amour, la tendresse, les mots…
Elle voulait toujours qu’à toute heure je témoigne.
Moi, je ne disais rien.
Vivant, à peine, j’allais lentement au tombeau,
Je me pétrifiais, le gisant de moi-même.
Elle ne sut rien me dire avant qu’il soit trop tard.
Mais son absence même est plus que le malheur.
Je ne voudrais pas vivre sans cesse dégoûté.
La chimie a du bon qui calme l’éc½urement
Mais ne faire que vivre n’est pas vivre vraiment.
2005-05-07
Yvon Henel
Mons en Bar½ul